Patrimoine en Haut-Sornin
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L’identité du haut Sornin révélée par ses lieux-dits (3/3)

Conférence de Mario Rossi le 01/04/2013 à Propières

 

4. Quatrième point : les défrichements

Les défrichements à partir de l’an Mil commencent par les déboisements : déboisements pour dégager des terres à cultiver, déboisement pour le chauffage et la construction. Un déboisement tel que trois siècles plus tard, le Haut Sornin était moins boisé qu’il n’est aujourd’hui. Trois- lieux-dits nous parlent de ce déboisement : Le Bressant, Troncy et les Bois Brûlés. On avait deux types de bois : les bois-taillis que l’on détruisait par le feu, les Bois Brûlés ; et la haute futaie dont on abattait les arbres : Le Bressant précisément décrit un aspect de cet abattage ; Bressant dérive d’un mot francique brekka qui a abouti à brèche en français ; Le Bressand serait alors, comme Le Bressy à Ligny-en-Brionnais, ce qui reste d’une forêt abattue dans laquelle on a opéré une « brèche ». Troncy désigne un bois de haute futaie fournissant des troncs qui seront ensuite écimés (les trontses) une fois abattus.

Mais aucun lieu-dit n’évoque le défrichement des sols, mises à part Les Brûlées qui s’appliquent aux sols broussailleux que l’on défriche par le feu. En particulier aucun nom rappelant les essarts qui sont pourtant nombreux en Brionnais de l’ouest et en Charolais :

Pourquoi ?
Ce terme, qui dérive d’un verbe latin qui signifie sarcler, désigne l’action de ramener à la culture des terres jadis cultivées ; il apparaît pour la première fois dans la loi des Burgondes au V° siècle (loi Gombette) qui étaient tenus de rendre à la culture les terres en déshérence que les Gallo-Romains mettaient à leur disposition à une époque, la fin de l’Empire romain, où moins de 10% des terres étaient encore cultivées. Il sera utilisé bien plus tard avec le même sens. Ce terme est donc un terme technique qui définit une politique de remise en culture systématique des terres. L’abondance des noms relatifs aux essarts en Brionnais de l’ouest montre que cette politique de défrichement systématique a été pratiquée dans une zone où l’on a décidé de réhabiliter des terres jadis cultivées, puis tombées en déshérence. L’absence des noms relatifs à l’essartage en Haut Sornin et dans tout le Brionnais de l’est semble montrer que les terres inhospitalières des terrains primaires du Haut Sornin étaient restées à l’époque gallo-romaine et durant tout le Haut Moyen Age au mieux des terres de pâturage, des Pasquiers comme le disent certains lieux-dits.
Le Haut Sornin n’a donc pas été défriché ? Il l’a été. Comment le sait-on ? Par le nom des nombreux domaines qui se sont constitués depuis l’époque gauloise (Fig. 8) :

Fig. 8 - Les domaines au cœur du Haut Sornin depuis le Haut Moyen Age.

1. Un domaine fondé par les Gaulois, La Biraude, puis plus tard ceux fondés par les Germains, les Burgondes et les Francs, Audin (Le vieux en burgonde), Le Méry (L’illustre en burgonde), Théodon (le peuple en francique), Botton (Le messager en francique), deviendront avant l’an Mil la propriété de seigneurs des environs.

2. A partir de l’an Mil, des seigneurs possèdent des domaines : par exemple un certain Bradincus qui fait don, entre 910 et 922, à son frère Artaldo, de la chapelle Saint Victor et des biens qui en dépendent vers Ajoux :
« cum omnibus que ad ipsam pertinent, terris, curtilis, vineis, pratis, silvis, aquis… » (1 ).

Donc ces biens situés dans le couloir qui conduit d’Ajoux à Propières sont constitués de fermes (curtilis), de terres cultivées (terris), avec des vignes (vineis) et des prés (pratis). Nous sommes donc déjà bien avancés dans le défrichage avant l’an Mil ! Défrichage qui se continuera sous la direction de Cluny, puisqu’Artaldo lui-même fait don de ces biens à Cluny quelques années plus tard (en 929, charte n°378).

Toujours au X° siècle, en 993, un riche seigneur, Richard, fait don à Cluny d’un manse à Azole (Charte de Cluny n°2189), avec tous les biens qui en dépendent. Un manse ? Il s’agit d’un ensemble formé par l’habitation et les bâtiments agricoles, habitation rurale à laquelle se trouve attachée à perpétuité une quantité de terre déterminée. Ces manses nous en trouvons ailleurs en Haut Sornin : Le Magny (Azolette), Les Corates (St Igny-de-Vers). Les Corates, dérivé de curtilis (voir ci-dessus), sont des fermes qui remontent à l’époque germanique ; Le Magny, issu, comme le manse, du verbe latin manere, demeurer, désignait une grande habitation rurale avec ses dépendances, c’est-à-dire un manse, qui date du début du X° siècle.

De la même époque on peut citer Les Berrades (Azolette), anciennement Les Bérardes, domaine peut-être créé par Bérard, fondateur de la maison de Beaujeu, La Gardette, domaine ecclésiastique confié à la Garde d’un seigneur et La Farge, ancienne forge dont le nom date des années 800 et où un domaine s’était développé au X° siècle avant la construction de la Maison Forte par un seigneur de Beaujeu à la fin du XI° siècle. Et puis bien sûr le domaine de Propières fondé semble-t-il par un ancêtre de Claude de Marchampt (1125), de la lignée des seigneurs de Propières : Propières apparaît comme paroisse vers 1050 dans un Pouillé (registre) du diocèse d’Autun sous le nom latinisé de Purpureas. D’autres domaines se forment ou se développent entre les XI° et XIV° siècles : Azolette, Berthelier, les Henrieux, Les Jolivets, Les Andrés.

Par conséquent dès avant l’an Mil le Haut Sornin a été défriché, de nombreux manses y ont été créés et cela a continué durant tout le beau Moyen Age. Les noms de ces manses occupent la plupart des lieux-dits sur la commune de Propières et ne laissent pratiquement aucune place aux noms qui feraient allusion aux défrichements proprement dits.
Or ces manses, ces domaines créés dès le Haut Moyen Age ont supposé des défrichements intenses comme le disent clairement les archives de Cluny et les donations des riches propriétaires Bradincus et Richard.
Ces défrichements précoces font bien partie de l’identité de ce Haut Sornin apparemment rebelle à tout type de culture.
Pourtant si aucun lieu-dit n’évoque le défrichement proprement dit, un certain nombre d’entre eux cependant font allusion à des modes de culture et à des terres cultivées.
• Ainsi les verchères gauloises, qui font allusion à des terres de bonne qualité près des manses, traversent les siècles pour arriver jusqu’à nous (Les Grandes Verchères).
Les Condemines, qui datent parfois du IX° siècle, désignent les terres de bonne qualité, proches du château réservées au maître et cultivées par le personnel de la curtis (le domaine du maître).
• D’autres lieux-dits font allusion à un mode de culture bien connu et très répandu à une époque où les engrais n’existaient pas, la jachère ; il s’agit de Les Pièces longues (en Foussemagne, La Gardette) : ces pièces, comme les Terres Longues, les Longes que l’on trouve ailleurs, étaient des terres étroites et longues, dites laniérées, qui formaient des soles à l’époque où l’on pratiquait la jachère. En relation avec la jachère on trouve Les Viers (Azolette). Ce nom est en relation avec le viard ou viarre qui, dans les parlers du Mâconnais et du Charolais du sud (Matour), désigne une terre essartée ou mise en culture de façon intermittente ; on retrouve ce terme sous la forme vierre (La Vierre) en Beaujolais où, selon Lachiver, il désignait « une culture de deux années alternant avec une jachère de six à huit ans ». Ce nom dérive du latin (cultura) vicaria, (culture) qui prend la place d’autre chose, cette autre chose étant dans le cas précis la jachère.
• Enfin parmi les cultures on rencontre celle des raves, En Ravirieux, et celle du chanvre plus tard avec Chenevière (Ajoux), Chenèvrière (Propières).

Ces terres cultivées étaient des biens précieux dans ce haut Sornin au climat rude et à la terre peu fertile ; il fallait les protéger : les protéger contre les vols, les intrusions de la soldatesque de certains seigneurs et surtout des bêtes sauvages (loups, sangliers, etc.) qui pullulaient dans les forêts de ces montagnes. Aussi ces domaines constitués de manses, de maisons fortes ou de châteaux entourés de terres cultivées précieuses étaient-ils clôturés, depuis leur création au IX° siècle et peut-être avant. Ces domaines clôturés étaient alors nommés les pourpris. Le pourpris protégeait des cultures précieuses pour l’époque, par exemple la vigne (voir plus haut Bradincus), le blé et les arbres fruitiers, car comme le dit un poète du Moyen Age, Chrétien de Troyes (1170) :

« Tot croist dedanz le porpris
Quanqu’a riche castel covient
» (2)

Eh bien ! Ce sont ces domaines clôturés (Fig. 9) : ces riches pourpris qui protégeaient les précieuses cultures de ce Haut Sornin qui ont donné leur nom à Propières devenant l’image de la richesse du pays et du courage des paysans qui en étaient les auteurs. Nous touchons là au cœur de l’identité du Haut Sornin.

Fig. 9 - Reconstitution, sur Google Earth, des domaines au cœur du Haut Sornin.

Mais on peut se poser la question de savoir s’il n’en a pas été de même dans les paroisses des environs, qui datent de la même époque (St Igny de Vers, Belleroche), et pourquoi c’est précisément Propières qui a pris le nom des Pourpris ? Je me suis amusé à compter les domaines dans l’ensemble des lieux-dits pour chacune de ces communes : Propières vient largement en tête avec 39,5% de domaines (19/48), vient ensuite loin derrière St Igny de Vers avec 16% (15/91), puis Belleroche avec 13% (5/39). Propières était donc marqué par la présence de ces domaines ou pourpris, d’où son nom local qui, en 1340, était Pourpririis, un nom qui dit bien son origine !

CONCLUSION

L’identité du Haut Sornin ? J’ai dans un premier temps comparé le Haut Sornin au Brionnais de l’est. Les critères qui identifient le Brionnais de l’est sont d’abord de nature géologique : nous sommes sur le massif primaire de type granitique. Ce sont des critères analogues qui permettent de préciser l’identité du Haut Sornin, mais ces critères le différencient du Brionnais de l’est, car comme le dit Bruno Rousselle, le Haut Sornin est caractérisé par une géologie complexe qui fait son originalité.

Par ailleurs nous avons vu que les noms de lieux-dits de cette micro-région décrivent un paysage et un monde dont les particularités illustrent son identité : des lieux-dits qui illustrent son relief, la nature du sol, le type de sa végétation et qui nomment ses nombreux domaines dont certains remontent au-delà de l’an Mil ; des domaines, témoins de défrichements précoces dans ce Haut Sornin apparemment rebelle à tout type de culture, des domaines qui furent donc enclos pour protéger les précieuses cultures de ce haut plateau, des domaines qu’on appelait les pourpris, les pourpris d’où Propières tire son nom. Nous sommes là au cœur de l’identité du Haut Sornin.

Références

Comby Auguste (Abbé --), Histoire de Propières, 1942, publié par l‘Association "Patrimoine en Haut Sornin", Imprimerie clayettoise, 2011.
Dauzat Albert, La toponymie française, Payot, Paris, 1960.
Eeckhout (van), Gérard, L’emprise monastique dans le Brionnais : XI°-XIII° siècles, Mémoire de Maîtrise, Université de Lyon II.
Lachiver Marcel, Dictionnaire du monde rural, Fayard, Paris, 1997.
Morlet Marie Thérèse, Les noms de personne sur le territoire de l’ancienne Gaule du VI° au XII° siècle, CNRS, Paris, 1968.
Mortamet Jean, L’histoire du Haut Sornin in "Patrimoine en Haut-Sornin".
Rossi Mario, Dictionnaire étymologique et ethnologique des parlers brionnais, Publibook, Paris, 2004.
Rossi Mario, Les noms de lieux du Brionnais-Charolais, témoins de l’histoire du peuplement et du paysage, Publibook, Paris, 2009.
Rousselle Bruno, Aperçu de la géologie en Haut-Sornin, in "Patrimoine en Haut Sornin".
Taverdet Gérard, Les noms de lieux du Rhône, ABDO, Dijon, 1987.
Taverdet Gérard, Noms de lieux de Bourgogne, Éditions Bonneton, Paris, 1994.
Vurpas Anne Marie et Michel CLaude, Noms de lieux de la Loire et du Rhône, Éditions Bonneton, Paris, 1997.

(1) « Avec tout ce qui en dépend : terres, fermes, vignes, prés, forêts, eaux, etc… ». (Charte de Cluny n° 114).
(2) « Tout croît à l’intérieur du pourpris, autant qu’il convient à un riche château. ».

 


dernière m.a.j. : 30.12.22