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L’identité
du haut Sornin révélée par ses lieux-dits
(2/3)
Conférence
de Mario Rossi le 01/04/2013 à Propières
2.
Deuxième point, le relief
Prenons
pour commencer les hauts et les bas. On relève
deux faits caractéristiques : sur l’est granitique
du Brionnais abondent les lieux-dits Les Combes (Fig.
4), alors que les Vallées sont rares.
Fig.
4 - Répartition des lieux-dits Les Combes en Brionnais.
En revanche les vallées abondent à l’ouest
où les combes sont pratiquement absentes (Fig. 5). Cette
différence essentielle est liée à un relief
radicalement différent entre l’ouest marno-calcaire
et l’est granitique : l’ouest est un pays de Teurots,
autrement dit de collines, où les bas ont l’aspect
de vallées en pente douce.
Fig.
5 - Répartition des lieux-dits apparentés à
Vallée en Brionnais.
En revanche, dans l’est montagneux, d’où les
Teurots sont absents mais les Monts innombrables,
les passages entre montagnes sont des combes,
des pentes encaissées et étroites, des dépressions
en forme de vallées étroites et profondes (c’est
le sens du gaulois cumba). Sur le massif primaire
du Haut Sornin, nous avons un relief identique identifié
par les noms de lieux-dits :
Curieusement nous n’avons qu’un lieu-dit La Combe,
en l’absence de vallées (mise à part La
Vallée à Belleroche). Mais à cette Combe
s’ajoutent des noms tels que Foussot, Foussemagne
qui, dérivés de Fossa, la fosse,
sont bien caractéristiques de pentes encaissées
et étroites ; on y ajoutera Le Cros (Azolette),
Les Crous, noms dérivés du paléolithique
croso (–20.000) désignant la
faille (voir également Champ Cru, ancienne
forme de Champ Creux). On y ajoutera la belle métaphore
Le Cul du Loup pour désigner le creux d’un
ravin.
Quant aux hauteurs, ce ne sont plus des Theurots,
• mais des Monts : Montimier,
Monsols, Mont Saint Rigaud, Mont Tourvéon,
etc., et des monts escarpés : Aujoux (Ajoux)
dérivé du latin jugum, le joug,
pour désigner ici un sommet en forme de joug, autrement
dit un col.
• Des éminences ou Puys : Verpuits
et le Peuillon (ou Pouillon), dérivés de
podium latin qui aboutit à Puy.
• des hauts plateaux dotés d’une pauvre végétation
: les Écharmeaux ou Chaumont dérivés
du Néolithique (-4000) calmis, qui désignait
des hauteurs incultes.
• Quant aux Teurots proprement dits ils sont remplacés
par des lieux-dits qui désignent des pentes encaissées
et étroites : Les Côtes (Propières
1825, St Igny de Vers), La Côte (Monsols,
Les Ardillats).
Pour
résumer, on se rend compte que le Haut Sornin ne se contente
pas des combes et des monts pour désigner son relief particulier
mais utilise dans ses lieux-dits une quantité de noms très
évocateurs qui font la richesse de son identité
; on peut résumer cela d’une phrase :
Du haut des monts, des joux, des peuillons et Verpuits,
on tombe dans les côtes des combes pour finir dans les crous
et les foussots, quand ce ne sont pas des culs de loup au fond
des roches !
Je
voudrais ici apporter un complément concernant l’histoire
du peuplement que nous révèlent les lieux-dits
: bien que le Haut Sornin ait toujours été dans
le passé une région difficile d’accès,
il fut habité par les hommes de la Préhistoire,
puis par les Gaulois et plus tard par les Germains. Les Hommes
de la Préhistoire nous ont laissé de nombreuses
racines dont nous venons d’examiner les principales dans
les lieux-dits (croso, cara,
calmis, etc.). D’ailleurs, comme nous le
dit l’abbé Comby, on a bien découvert près
du St Rigaud des lames en silex taillé et entre La Gardette
et les Cadolles, un menhir.
Quant aux Gaulois, ils nous ont laissé nombreuses racines
dans les lieux-dits …et dans nos parlers ; mais je reviendrai
plus loin sur les Gaulois.
3.
Troisième point : végétation et culture
Jean Mortamet et Bruno Rousselle insistent tous deux sur la pauvreté
du sol en Haut Sornin. Évidemment on n’a pas là
la richesse des terrains sédimentaires marno-calcaires
! Mais par rapport au massif primaire du Brionnais de l’est
sur la rive gauche du Sornin, la pauvreté du sol est ici
amplifiée par l’altitude et la rudesse du climat.
Tout
d’abord un rapide coup d’œil sur l’évolution
historique de la végétation pour comprendre
ce que nous disent les lieux-dits.
• Les Gaulois étaient d’excellents agriculteurs
(‘La Gaule, un immense champ de blé’,
écrivaient les historiens latins) ; l’état
des campagnes continua à s’améliorer à
l’époque gallo-romaine avec la multiplication des
domaines agricoles ou villas.
• Puis à partir du V° siècle, avec les
invasions de toutes sortes (Bataves, Alamans,
Alains, Vandales, etc.), les villages sont incendiés, les
campagnes sont dépeuplées (on assiste à un
effondrement démographique grave : 50% des hommes meurent
à l’âge de 25 ans !!). Alors, malgré
les efforts des Burgondes et des Francs, dans les siècles
suivants, se multiplient les friches, les taillis et les bois.
Cela durera avec des hauts et des bas jusqu’à la
veille de l’an Mil.
• Puis commence ce qu’on a appelé le
beau Moyen Age, grâce en particulier à l’action
de Charlemagne, Beau Moyen Age qui durera jusqu’au XIV°
siècle, le siècle de la peste noire et de la Guerre
de Cent Ans. Durant ces trois siècles, les campagnes se
repeuplent, se modernisent, les friches et les forêts reculent
au profit de cultures riches et variées.
Le Haut Sornin, malgré son isolement relatif, n’a
pas échappé à ces soubresauts de l’histoire.
Les
Gaulois étaient présents ici et ils avaient
créé en haut du Saint Rigaud, un sanctuaire (J’y
reviendrai dans l’étude parallèle à
celle-ci : Le Sanctuaire du Saint Rigaud). En quête
de terres cultivables, les Gaulois ont commencé par assainir
les lieux marécageux qu’ils ont rencontrés
dans leur quête et qu’ils ont nommés (Fig.
6) :
Fig.6 - Principaux lieux-dits d’origine gauloise en Haut
Sornin (La terre et les domaines).
le vabero, marécage entretenu par des
eaux souterraines, devenu Vavre ; le sania,
terrain boueux, devenu les Saignes et les Sagnauds
; le neboro, prairie inondable au bord de l’eau,
devenu Le Nervet ou Les Nivières ; puis
ils ont travaillé et retourné la terre : ces terres
cultivées, ils les nommaient les vercaria,
c’est-à-dire les Verchères.
Les
domaines-villas de cette l’époque gallo-romaine ?
Il nous reste, avant d’arriver ici, Saint-Igny,
anciennement Santiniacum, le domaine du Gallo-romain
Santinius ; tout près d’ici La
Biraude, dérivé du gaulois birros,
petit, donc le petit domaine et, au-delà vers
Belleroche, Le Chassigny (le domaine de Cassenius,
nom d’origine gauloise désignant le bronze).
À partir du V° siècle, époque des invasions,
alors ce sont les friches broussailleuses qui dominent
(Fig.7). Nous en avons de nombreux témoignages dans les
lieux-dits : en particulier Brossard et les Brosses
(de broccum, les dents saillantes d’un
animal sauvage) les Angrullières, lieu recouvert
d’agrot, c’est-à-dire de houx
; les Fougerolles (St Clément) et Fougerat
(Belleroche), lieux recouverts de fougères, des
noms qui datent de cette époque lointaine ; et les plus
récents Broussailles, Bruyères.
En ce qui concerne le houx, qui est une plante de sols calcaires,
on peut s’étonner de la rencontrer ici : s’agit-il
d’un filon calcaire comme celui qui explique la présence
de La Chirette ? Peut-être… Encore là
un trait de l’identité du Haut Sornin.
Fig.
7 - Les friches broussailleuses en Haut Sornin.
Par
ailleurs
les bois et forêts qui n’avaient
guère été entamés jusqu’ici
continuent à s’étendre sous forme de taillis
épais et feuillus, tel le Fouilloux… et
les innombrables Bois ; n’oublions
pas que le nom du Bois date de cette
époque, c’est un mot d’origine germanique :
bosk. Ces Bois étaient le plus
souvent des bois-taillis broussailleux comme le suggère
le Bois Bruscail ou Bois des bruyères (Bruca,
d’origine gauloise). Aux Bois il faut ajouter Les Hayes
et La Haye du Pont (Saint-Igny de Vers) ; les
Hayes, ne désignaient pas la haie actuelle ou suizon,
mais étaient de grands bois ou forêts que les Germains
utilisaient comme lignes de défense contre les envahisseurs.
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